Le voilier est une belle métaphore de l’humain…
dans ses multiples dimensions, en négociation permanente avec la part fluctuante et insaisissable de lui-même, à la recherche d’une « verticalité intérieure ».
Face aux aléas d’un monde mouvant et impermanent, « celui qui va sur la mer » écoute, compose avec les éléments, interprète, s’adapte : un bruit inhabituel, des feux incertains, une déviation magnétique, une avarie, un pétrolier surgi de l’horizon, un coup de vent soudain. En veille permanente, il fait corps, arc-bouté sur ses instruments, extirpant d’une triangulation éphémère un point géographique toujours trop approximatif. Il fait et refait ses calculs, tentant de trouver un point fixe, mais pour quelques instants seulement.
Dans cet univers où la perfection immobile n’est pas de mise, le marin s’accommode peu à peu de sa perfectible maîtrise et s’initie à la relativité : prenant de la hauteur sur les situations, la navigation au degré près s’essaie à l’estime et à l’intuition. D’un impossible « point fixe » il change pour un…« point de vue ».
A la force des choses, il renonce à tout maîtriser, parfois même jusqu’à « rendre l’âme », lorsque, à fond de cale, ne finissant pas de vomir sa bile, il s’abandonne à une incertaine providence. Il découvre alors qu’il fait face, malgré lui, trouvant les solutions au fil des événements.
Parfois même, il se surprend à penser que celles-ci semblent « le » trouver.
Peu à peu, au gré des hasards, une logique en filigrane transparaît, jouant une sorte de cache-cache avec le Réel. A l’expérience répétée, il en arrive à faire l’hypothèse que les lois de la statistique et de la probabilité ne rendent plus totalement compte de la mécanique du vivant, et ce qu’il percevait jusqu’ici comme chaos, prend peu à peu un sens, subtil, encore imprécis.
Les événements paraissent s’emboîter dans une logique propre. Les rencontres incertaines et les hasards improbables semblent baliser une nouvelle carte temporelle : tel événement trouve son écho 6 mois plus tard, puis de plus en plus rapidement, 3 mois, 2 mois, jusqu’à l’instantanéité.
Deux voyages s’insinuent l’un dans l’autre :
L’un, maritime et conquérant,
du présent vers le futur,
L’autre, intérieur et énigmatique,
du futur vers le présent.
Étrange cisaillement temporel qui l’oblige à un nouveau paradigme :
Parti à la conquête des méandres de l’espace,
il revient conquis par les circonvolutions du temps.
A l’épreuve du symbolique, les hasards mutent en synchronicités et les synchronicités en co-incidences, où deux réalités « incidentes » l’une avec l’autre l’initient à une sorte de dialogue intime, où l’ « âme agit » semble estomper l’horizon du tangible.
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